Modernité africaine, critique de la modernité, c’est le titre de l’ouvrage du professeur Alphonse Elungu Pene Elungu, paru aux Editions Antenne Sud, en décembre de l’année dernière. Professeur émérite, l’auteur passe au crible la modernité à travers une critique philosophique de ce concept qui échappe au temps, parfois mal interprété, pourtant considéré sous d’autres cieux comme une idéologie fondatrice de la liberté de l’individu. cette idéologie forgée par l’occident chrétien autour d’un discours qui fait de l’homme un créateur semblable à Dieu, ne correspond pas fondamentalement à la culture du sacré africain.
Divisée en trois grandes parties plus la conclusion, la première partie porte un regard sur la modernité comme concept ; la seconde partie planche sur la modernité africaine, critique de la modernité. Enfin, la dernière partie de l’ouvrage donne des éléments africains modernes pour une critique radicale de l’individualisme libéral ou libéralisme individualisé. Dans la première partie, modernité, entendue comme un mode de civilisation caractéristique, s’oppose au mode de la tradition, c’est-à-dire, à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles. Face à la diversité géographique et symbolique de celles-ci, la modernité s’impose comme une, homogène, irradiant mondialement à partir de l’Occident, rime avec liberté ou la volonté de l’individu dans le monde libre, en Afrique elle est plus voyante, plus criante et plus inquiétante. Car, elle est faite de la pauvreté, d’aliénation et de domination dans les rapports de l’Afrique avec le monde libre. Mais aussi, parce que la modernité en Afrique, comme expression de la volonté individuelle, n’a pas réussi à anéantir les cultures ethniques traditionnelles. Pendant ce temps, le «monde libre» se construit et se développe aux dépens du monde réel des sociétés humaines concrètes et charnelles.
L’auteur affirme que la modernité a cherché à reconstituer notre relation au monde de la nature sur la base d’une volonté originaire extérieure et supérieure à la nature. Ainsi, pour parler de la modernité africaine, il est surtout important d’en faire une double critique. C’est vouloir d’abord, faire la critique de la réalité africaine, de ses sociétés ethniques et ses cultures de sagesse par la société-institution de la volonté de la puissance et de l’Etat.
De même, le processus d’acculturation de la nature auquel sont impliqués les Africains impose obligatoirement une synthèse non pas par élimination de la critique opposée mais plutôt une synthèse capable de surmonter les deux en tout. Ce qu’il faut à l’Afrique aujourd’hui, déracinée, indique-t-il, c’est que la question africaine est dans la renaissance africaine. Elle doit se faire à travers une construction, sur des débris et de matériaux de la colonisation avec des moyens nouveaux, modernes pour une société africaine moderne nouvelle. En d’autres mots, la modernité serait une question culturelle.
Dans la deuxième partie consacrée à l’Afrique dans la modernité, l’auteur situe son entrée dans la modernité à la naissance de l’Europe, surtout à travers les conquêtes et la colonisation, sous le diktat du profit-roi. Dommage, l’Afrique y est entrée enchainée et asservie, elle a vu ainsi au cours de son histoire son esclavage se métamorphose à chaque fois, au lieu de s’abolir, il s’est amplifié et au lieu de diminuer.
Cette situation a ainsi créé d’un côté un maitre et possesseur de la nature et de l’autre un esclave. De ce fait, l’homme européen moderne n’existe qu’en tant que projet de société essentiellement politique, dans laquelle l’homme devient sujet-objet de son propre pouvoir, citoyen souverain maitre, l’unique autorité.
La critique de l’Etat-Nation, dominée par des considérations ethniques, a démontré que l’Afrique qui porte en elle des déchirures, le poids de son aliénation, de l’exploitation et de la domination a du mal à entrer dans sa modernité au travers la démocratie. Pour preuve, l’auteur reconnait aisément l’échec de modèles empruntés à l’occident notamment à cause de l’impasse ethnique. On a vu s’effondrer l’Etat colonial à partir de la décennie 80-90 avec la remise en cause de la formation des nations africaines. Ce qui pousse aujourd’hui l’Afrique vers la périphérie de la modernité. Plus radical, l’auteur plaide pour une nouvelle modernité qu’il qualifie de minimale en vue d’un autre monde moderne que celui actuel de l’individualisme libéral ou du libéralisme individualiste.
Enfin, la dernière partie de cet ouvrage donne des éléments africains modernes afin de faire une critique du nouveau modèle proposé. C’est-à-dire, de la modernité maximale. L’Afrique devra sans nul doute faire son entrée dans cette modernité toujours dynamique en pleine mondialisation au travers de ses mœurs, ses sociétés ainsi que ses cultures.
Bref, à travers ses 223 pages, l’auteur reconnait que les Africains sont entrés dans la modernité par des actions et des entreprises accomplies par l’Europe modernisée, au nom de la mission civilisatrice qui lui recommandait la liberté, esprit de la modernité. C’est ce qui biaise foncièrement leur vision à la modernité, car n’ayant pas été inspirée par leur vécu réel. Il recommande à l’Afrique à ne pas rester en marge de la modernité et d’y entrer par ses propres valeurs intrinsèques.
Ouvrage très riche, le lecteur trouvera à sa guise pêle-mêle au cours de sa lecture des éléments d’information nécessaires pour nourrir sa propre conception et sa réflexion sur la modernité. Cela, d’autant plus que la modernité reste fondamentalement un concept philosophique ou métaphysique, c’est-à-dire du domaine de l’esprit, alors que la modernisation est un concept sociologique qui s’oppose à la tradition. Autrement dit, le passage d’un état de nature vers un état évolué sur base des cultures. VAN