On doit certainement donner raison à ceux qui disent que si les Congolais se battent pour devenir Ministres, ce n’est certainement pas pour le peuple qu’ils sont censés servir mais plutôt parce qu’ils croient trouver dans cette fonction un raccourci pour s’enrichir. La décision prise récemment par le Gouvernement MATATA d’attribuer à chaque Ministre 150 hectares au Plateau de Bateke pour y pratiquer l’agriculture est une preuve de plus de cette triste réalité. On comprend pourquoi des critiques les plus acerbes continuent à se faire entendre sur cette initiative pleine d’ambigüité.
Evidemment personne n’aurait à redire d’une telle initiative, du reste courante dans d’autres pays africains comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, surtout que le Chef de l’Etat s’adonne depuis quelques années aux activités agricoles. On ne peut donc pas reprocher aux Ministres d’avoir chacun son Kingankati. Ce qui scandalise et irrite l’opinion, ce n’est pas tant la pratique envisagée de telles activités mais plutôt le manque de transparence en ce qui concerne le mode d’acquisition des terres, l’emplacement choisi et l’objectif réel poursuivi.
Mode d’acquisition : une procédure expéditive et irrégulière.
Le Ministre des Affaires Foncières, qui devrait appliquer la loi et servir d’exemplarité en cette matière, a surpris l’opinion publique lors de la cérémonie de la pose des bornes en affirmant que certaines terres attribuées ont été retirées à leurs anciens locataires qui n’avaient pas pu les mettre en valeur dans le délai prévu. Pourtant on sait que la loi n°80-008 du 18 juillet 1980 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, est explicite à ce sujet. Elle prévoit en pareil cas une longue procédure, allant de l’ouverture de l’enquête à mener pour permettre à des tiers de faire prévaloir leurs droits éventuels, jusqu’à sa clôture par les avis du Procureur de la République et du Gouverneur de Province. C’est à l’issue de cette procédure que l’autorité locale autoriserait l’occupation provisoire des terres demandées. On constate malheureusement pour ce cas précis que rien de tout cela n’a été respecté. On a préféré à la place, utiliser une procédure expéditive et du reste entachée d’irrégularités, en recourant non au Gouverneur de la Ville et au Bourgmestre de Maluku mais aux Chefs coutumiers qui auraient reçu des cadeaux à titre de récompense. Un tel geste ne pourrait qu’encourager ces derniers à qui le Chef de l’Etat avait reproché lors de la Conférence de Kikwit en novembre 2011 leur propension à vendre les terres qui, aux termes de l’article 53 de la loi foncière précitée sont une propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat.
Pourquoi avoir choisi le Plateau des Bateke ?
Une autre question que l’on se pose est celle de savoir pourquoi les Ministres ont- ils choisi Kinshasa au lieu du milieu rural dont ils sont presque tous originaires et où l’agriculture est l’activité économique principale? Un tel investissement y aurait certainement des effets d’entraînement bénéfiques en termes de création d’emplois et de lutte contre l’exode rural surtout de nos jeunes qui, séduits par les facilités apparentes des villes quittent les villages actuellement délaissés et auxquels les hommes politiques ne s’intéressent qu’à l’occasion des échéances électorales. En tout cas cette initiative maladroite a l’inconvénient de révéler aux Congolais et en particulier aux ruraux qu’ils ne peuvent rien attendre de ce Gouvernement comme du reste des précédents, en ce qui concerne l’amélioration de leurs conditions de vie.
En effet, malgré les nombreuses déclarations d’intention à effet médiatique du Premier Ministre sur le fameux Programme de relance agricole, les gens restent fort sceptiques et commencent maintenant à comprendre qu’en réalité la promotion de ce secteur n’a jamais été au cœur des préoccupations de nos dirigeants. Car on ne peut à la fois chercher à lutter contre la pauvreté qui est davantage rurale et ne rien faire pour la relance de l’agriculture. Face aux difficultés grandissantes des paysans, devenus les plus pauvres des pauvres , au lieu de faire prévaloir d’abord leurs intérêts individuels, les Ministres devraient écouter leur cri de détresse en mettant en place une politique agricole cohérente, visant l’augmentation de la production en cherchant les moyens appropriés pour sa réussite. Pour se donner bonne conscience, le Gouvernement ne se gêne pas de rabâcher les oreilles avec les performances, du reste discutables que le pays aurait atteintes sur le plan macro-économique mais on oublie souvent que le progrès n’est rien sans l’amour pour les autres.
Le vrai objectif recherché
Cette initiative égoïste jette également un autre éclairage troublant sur le comportement des Membres de ce Gouvernement, à savoir: le mépris et le manque d’amour pour la population qui est convaincue que cette action n’apportera rien de significatif à la promotion de l’agricultrice. Car elle sait que la rentabilisation des superficies si étendues nécessitera sans aucun doute le recours à de grands moyens techniques et financiers. Le véritable objectif recherché est caché, à savoir : utiliser les titres de propriété, attestée par des certificats d’enregistrement pour solliciter et obtenir des crédits et d’autres avantages. Certes, les Membres actuels du Gouvernement et du Parlement sont mieux payés que leurs prédécesseurs. Ils ne se sont pas gênés de doubler leurs émoluments pour le budget 2013. Pendant ce temps, le militaire et le fonctionnaire doivent se contenter d’un salaire de misère de 65 $. Ce qui signifie en termes de comparaison que ces derniers doivent faire 146 mois ou 12 ans pour gagner le salaire d’un Ministre et 2OO mois ou 16 ans celui d’un Député. Comme quoi le petit peuple à qui on impose tant d’impôts et de taxes qui ne font d’ailleurs qu’augmenter comme les factures de la SNEL et de la REGIDESO, ne travaille que pour faire vivre les hommes au pouvoir.
Une chose est en tout cas sûre : ce n’est pas avec leurs émoluments bien que scandaleusement élevés que nos Ministres feront la mise en valeur de si grandes étendues qui leur ont été octroyées ; ils auront certainement besoin pour ce faire des moyens plus importants comme des fertilisants, des tracteurs et de l’argent frais. A cet égard, ils seront sans aucun doute les premiers à être servis gracieusement avec les 2.500 tracteurs commandés l’année dernière. Quant aux crédits dont l’insuffisance constitue l’un des facteurs importants et explicatifs de la régression de notre agriculture, contrairement à d’autres pays où ils sont réservés en priorité aux agriculteurs, tout le monde sait qu’au Congo les hommes politiques sont presque les seuls à en bénéficier. Ils ne les remboursent d’ailleurs généralement pas. Il faudra s’attendre prochainement à ce que des dossiers de demande des crédits de leurs Excellences, évalués à des millions de dollars, inondent des institutions spécialisées comme la Sofide ou le Fonds de promotion de l’industrie.
L’histoire se répète
On a reproché aux Mobutistes d’avoir mal géré le pays mais avec le recul du temps, les Congolais jugent aujourd’hui aux faits. L’opinion publique ne manque pas de se poser des questions et même de s’inquiéter en raison de l’échec auquel ont abouti par le passé des expériences semblables. Car la réalité se charge aujourd’hui de nous montrer que l’histoire se répète. En effet cette initiative malheureuse du Gouvernement MATATA rappelle tristement celle du Président Mobutu au début des années 1980. Pour répondre favorablement à la demande de contribution à la relance de l’agriculture congolaise, le Japon accorda des centaines des camions Nissan et Toyota pour assurer l’évacuation de la production agricole vers les centres de consommation. Quelle ne fut pas par la suite la déception de la population de les voir distribués gratuitement aux Membres du Comité Central du MPR de l’époque qui, au lieu de les amener à l’intérieur, les gardèrent dans la capitale où ils furent affectés à des activités plus rentables telles que le transport des personnes ou le commerce de la bière.
Comme du temps de Mobutu, on peut être sûr que les largesses accordées aujourd’hui aux Ministres n’apporteront significativement aucune réponse aux graves problèmes structurels de notre agriculture. On ne serait dès lors pas surpris demain d’apprendre que les terres acquises ont été vendues et les prêts consentis n’ont jamais été remboursés.
Quelle solution ?
Devant ce comportement inexplicable de nos Ministres, la population ne peut même pas compter, comme cela se fait dans d’autres pays, sur une opposition qui ne réagit que quand ses intérêts sont en jeu et quand il s’agit de se distribuer des postes. Elle compte surtout sur la société civile, en particulier sur l’Eglise catholique qui s’est toujours distinguée par des prises de position courageuses et qui ont souvent abouti au changement des comportements répréhensibles de nos dirigeants. Le Président de la République devrait également réagir en annulant cette décision pour ne pas se voir continuellement accusé d’instaurer au Congo un Etat d’impunité, comme il l‘avait fait pour les lotissements créés anarchiquement par certains Ministres du Gouvernement Muzito.
Antoine MASIKINI TABU