« Ils prendront mon Congo mais ils ne sauront pas ce que j’y ai fait ». Ce sont là les mots attribués au Roi Léopold II en 1908, peu avant sa mort, et après qu’il ait cédé « son » Congo à la Belgique.
Ils étaient prononcés pendant que les âtres du Palais de Laeken rougeoyaient d’un feu dévorant ses archives compromettantes sur l’Etat Indépendant du Congo.
A cette occasion, raconte-t-on, la cheminée centrale du Palais Royal avait vomi plus de fumée qu’à l’accoutumée, et ce près d’une semaine durant.
Mais la précaution du roi pyromane devait comporter des failles car, des traces écrites de ses crimes, il en était resté suffisamment pour nourrir les plumes , entre autres , de Daniel VANGRENWEGHE et d’Adam HOCHSCHILD qui ont produit « Le sang sur les lianes »et « Les fantômes du Roi Léopold, un holocauste oublié ».
Ces livres constituent, pour les nombreux contempteurs de l’affairiste couronné, des pièces à conviction irréfutables de sa culpabilité qu’il avait tenté d’occulter, apparemment sans un succès total et absolu tel qu’il l’escomptait.
Alain FOKA, le célèbre animateur de la rubrique « Archives d’Afrique » sur RFI, débute toujours ses émissions par cette citation : « nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple car un peuple sans histoire est un monde sans âme. »
Si on s’accorde que l’histoire est la mémoire des peuples, on doit admettre que même si elle est d’éléphant, la mémoire sans un écrit pour la fixer ne peut que jouer des tours à ceux qui s’y fient.
Le vieux Hampaté Ba, bibliothèque vivante à son heure, conscient lui-même de la fragilité et des limites de détenteurs du savoir que sont les gérontes, a pris la précaution d’écrire ses histoires avant de « brûler ».
Depuis qu’ils ont découvert l’écriture, les occidentaux ont voué des véritables cultes aux produits qui en résultent et dont « les temples » sont les bibliothèques et les musées.
T oujours est-il que, contrairement à l’esprit destructeur du Roi Léopold II, la colonie, à son crépuscule, a pris, elle, soin de transférer ses archives essentielles en Belgique au fameux musée de Tervuren où elles font jusqu’à ce jour le bonheur des chercheurs, amateurs ou professionnels, de l’histoire de notre pays.
Pour cela, il leur a fallu créer un centre de transit à Kinshasa, alors Léopoldville, par lequel étaient rassemblées et puis triées les archives qui venaient de tout l’intérieur du pays.
Ce centre fut hébergé dans les locaux ayant servi, durant la colonie, des bureaux au Secrétaire Général du Gouvernement Général de la colonie.
A l’indépendance, c’est ce service d’archives qui deviendra les «Archives Nationales», sans avoir eu à changer des lieux situés à la commune de la Gombe sur l’avenue de la Justice, à coté de la Caserne des pompiers.
Comme on le sait, de tous les chefs des revendications d’émancipation contre les colonisateurs, seule l’accession à l’autonomie politique avait focalisé l’attention de nos responsables politiques.
En effet l’indépendance politique obtenue, nos leaders se sont endormis sur leurs lauriers, oubliant superbement les autres aspects de la vie nationale, entre autres l’économie et la culture où abondent pourtant, jusqu’à ce jour, des sérieux contentieux de succession entre l’ex- colonie et la métropole.
Bien sûr, avec nos anciens maitres coloniaux il arrive épisodiquement que soient abordés les dossiers économiques et financiers.Mais encore une fois, c’est de façon spasmodique, superficielle, cosmétique et toujours à des fins politiciennes qu’ils sont traités. Il en va de même du contentieux culturel dont dépend le gros de nos archives encore détenues en Belgique.
Leur rapatriement à partir de Bruxelles est une question qui ne soulève pas beaucoup d’engouement chez nos dirigeants. Encore qu’à la rigueur, on peut même se consoler de cette incurie de leur part.
En effet, dans l’hypothèse qu’une suite favorable soit donnée à pareille démarche, les structures d’accueil feront défaut, si on mise sur les actuels locaux des Archives Nationales, tant ils sont devenus non seulement exigus mais aussi inappropriés.
Les curieux, comme moi, de passage aux Archives Nationales, auront remarqué que des cartons parfois débordés de toutes sortes des documents qui devaient être au classement y traînent à même le plancher des couloirs, faute de place.
Les documents sont exposés aux humeurs de leurs grands ennemis connus que sont l’humidité et les insectes, à part les guerres et les incendies.
Pour ce qui est de la guerre, la MONUSCO a convaincu sans grande peine le Conseil de Sécurité de lui renouveler son mandat en brandissant un argument d’évidence : l’état de guerre en RdCongo est toujours larvé.
Chez nous, il y a aussi à assimiler à la guerre ce qui est en passe de devenir « une discipline sportive collective » à pratique cyclique : les pillages. Ces derniers n’ont pu fleurir qu’à la faveur de l’instabilité politique qui caractérise les institutions de la république.
Le coup d’Etat, les guerres de libération, les élections douteuses sont des affluents d’un fleuve Congo loin d’être toujours tranquille, en dépit de l’illusion contraire qu’il a pu donner.
Dans la succession violente des régimes politiques qui ont régenté notre pays, la préservation des archives administratives et politiques n’était pas une préoccupation majeure. On ne sait pas si, après avoir défenestré KASA- VUBU, son tombeur, MOBUTU, s’est donné la peine de conserver précieusement ce que le partant lui a laissé. Mais, pour avoir été témoins de la fuite précipitée de MOBUTU et l’entrée triomphale des phalanges kabilistes , il n’y a pas de doute qu’énormément des documents et dossiers, notamment à la Présidence et dans certains services de sécurité, ont été détruits.
On dirait que le dénominateur commun de nos dirigeants, c’est la haine des écrits de leurs prédécesseurs. Il y a un péché « mignon » que les Africains parvenus au pouvoir commettent immanquablement c’est celui de s’imaginer toujours que l’histoire commence avec eux. D’où l’abstention de lire le passé et pour faire mieux la destruction, délibérée ou par indifférence coupable ,des écrits susceptibles de leur causer des remords.
Quant aux incendies, on peut croire que le fait que le voisinage des Archives Nationales avec la caserne des sapeurs pompiers soit un hasard heureux, ceux-ci constituant une assurance pour celles-là que des incendies ne pourront qu’être étouffés dans l’œuf. Mais tout le monde sait que ce n’est pas vrai.
En effet, il y a longtemps que les sapeurs pompiers de l’Etat congolais sont devenus des Zombies. Ils avaient commencé par perdre leur mobilité, bientôt ce sera leur caserne rendue désertique pour favoriser l’appel d’air des boulimiques des terrains à la Gombe. Sans doute que Libanais, Chinois ou Indiens lorgnent le lieu et ses environs certainement pour y ériger une tour de plus. Or, les environs c’est notamment le local abritant les Archives Nationales.
Les prédateurs des espaces de la Gombe doivent l’avoir dans leur viseur avec des arguments qui ont déjà fait leur preuve de succès imparable dans le passé.
A titre d’illustration, les deux Athénées de la Gombe et de la Gare dont les pans entiers de surface ont été cédés alors qu’ils servaient des cours de recréations aux enfants. Les Belges qui les avaient conçus ainsi semblent avoir eu plus d’ambition pour la jeunesse congolaise, l’avenir, dit-on,du pays – que les Congolais qui préfèrent « la former » dans des cagibi, et non dans les écoles spacieuses dignes de ce nom.
Quel sort attendent les Archives Nationales si d’aventure elles sont expropriées ou « délocalisées » comme on peut l’appréhender avec raison?
Retour au passé
A ce jour sont disparues à jamais les précieuses archives judiciaires datées de l’époque coloniale stockées au Parquet de Buta dont le Premier Président LIHAU qui y était en séjour officiel a déploré l’état de conservation et promettant d’y rémédier .Las.
Les archives de la Population Noire au Pont Kasa-Vubu, ex Pont Cab ont été jetées pêlemêle, dans les hangars de la Première Rue à Limete FUNA au service TP.
Même à l’UNIKIN , où se construit l’avenir du pays c’est extrêmement difficile de retrouver les documents de LOVANIUM.
Au tribunal de Grande Instance de Kalamu, alors abrité dans un foyer social, un Allemand a assigné son débiteur Congolais et se mit dans l’idée d’y aller assister à l’audience. Le spectacle qui s’est offert à ses yeux des dossiers à même le plancher l’a déprimé, au point d’abandonner la procédure. D’après son avocat, son client, incrédule aux miracles s’est dit n’avoir aucune chance de récupérer sa créance dans une Cour des miracles.
Bref, l’unique destination que les dirigeants assignent aux archives dont ils ne veulent plus sont des endroits où la poussière, l’humidité et les insectes entreront en œuvre avec comme conséquences des dégâts, parfois irrémédiables sur les archives, notre mémoire. Or, comme tout le monde sait, sans mémoire, on est aveugle.
François MITTERAND, en rival éternel du Général de GAULLE, n’a trouvé mieux pour tenter d’égaler son adversaire intime, dans la mémoire des Français et de la France, que d’attacher son nom à l’érection d’un monument culturel de grande ampleur, la Grande Bibliothèque, dont l’apport au rayonnement français n’est pas de moindre.
Léopold MBUYI
KAPUYA MELEKA.